mardi 5 janvier 2016

La France et ses inégalités.

        Depuis longtemps la France est l'un des pays dans lesquels l'origine sociale pèse le plus sur le destin scolaire.

Aujourd'hui beaucoup de français héritent de la position sociale de leurs parents, surtout dans les catégories situées aux extrémités de l'échelle (cadres et professions intellectuelles supérieures, ouvriers-employés). La famille joue un rôle dans la mobilité sociale.



Parmi les inégalités qui génèrent nos sociétés, les inégalités scolaires consistent la plus grande injustice que l'on puisse commettre envers les futurs citoyens, car elles obturent leur avenir.
L'école, en concluant la formation initiale et en attribuant les diplômes a pour mission de garantir l'égalité. Les chances d'accès aux différentes positions sociales indépendamment de l'origine, des individus

I) Influence du milieu social sur le niveau scolaire.

Il existe une multiplicité d'éléments qui façonne une trajectoire scolaire d'un enfant. Le milieu social en est un.




1) Des inégalités dès le premier contact avec l’école


  • Au CP, parmi les enfants d’ouvriers non qualifiés ,15% figurent parmi les 10% les plus faibles aux évaluations et 5,7% parmi le dixième le plus fort, selon des données de 2011 du ministère de l’Éducation. Les chiffres sont respectivement de 2,9% et 19% pour les enfants de cadres supérieurs.
  • Au CE2, 10% des enfants d’ouvriers non qualifiés ont déjà redoublé au moins 1 fois, contre 1,3% de ceux d’enseignants, toujours selon le ministère de l’Éducation (enfants entrés en sixième en 2011). 
Extrait de l’Observatoire des Inégalités 19 novembre 2015

L’environnement d’apprentissage est déterminant. En effet, la valorisation accordée à l’école varie selon les milieux sociaux. Elle est plus positive vers le haut que vers le bas de l’échelle sociale. Au début de la scolarité, la réussite scolaire tend à être en moyenne d’autant plus faible que le niveau de la famille est modeste.

Certains mettent en avant le niveau de langage utilisé en famille.

Ce facteur langage peut, en effet, avoir une influence sur la façon dont les enfants abordent les exercices qui leurs sont proposés à l’école.

Dès le début des années 60, B. Bernstein, sociologue anglais, a établi une relation entre milieu social, mode de socialisation et compétence linguistique. Il apparait que la simplicité des relations verbales dans les familles ouvrières favoriserait la pratique d’un code linguistique restreint, plus adapté pour exprimer le contenu d’expériences vécues que pour exposer des idées abstraites. En revanche, la plus grande complexité des communications dans les classes supérieures favoriserait le maniement d’un code linguistique élaboré, plus susceptibles de développer la capacité d’abstraction.

Les psychologues montrent que dès l’âge de six mois, on peut mettre en évidence des corrélations entre le développement et la qualité du milieu de l’enfant. De même, chez les enfants de 5 ans, la prise en compte de facettes variées du milieu familial de l’enfant telles que leurs valeurs, leur représentation de l’école, leur style éducatif, explique environ 70 % du développement cognitif langagier.

Ainsi, l’école contribue à reproduire les inégalités sociales parce qu’elle attend des enfants qu’ils maîtrisent certains codes linguistiques (niveau de langage, vocabulaire, conjugaison..) qui sont surtout véhiculés au sein de la classe favorisée lors de la socialisation primaire. Les variations dans la maîtrise du langage expliqueraient donc, en partie, la réussite différente des enfants en fonction de leur milieu social d’origine.


D’autres soulignent le fait que « la culture » est davantage valorisée dans les milieux élevés et que ce facteur a une influence décisive sur le succès scolaire.

La culture scolaire n’est pas neutre ; elle valorise la culture des enfants les plus favorisés, proche de celle qu’elle dispense.

Agrégé de philosophie, P. Bourdieu avance que les motivations, attitudes… de l’individu sont déterminées par la place qu’il occupe dans le système des positions sociales.

Pour Bourdieu, le capital culturel fait partie du triple capital que possède chaque individu et qui est fortement corrélé au milieu social au sein duquel il évolue. Le triple capital ainsi transmis est composé du capital économique (l’ensemble des ressources matérielles tel les revenus, le patrimoine), du capital social (les ressources sociales dont l’individu dispose tel le réseau de relations, le « piston ») et du capital culturel. Ce dernier revêt en fait plusieurs dimensions et est composé :

à l’état incorporé, il correspond aux « dispositions durables de l’organisme » tels la qualité des raisonnements, les manières, le langage.

à l’état objectivé, il correspond aux tableaux, livres, dictionnaires.. mais il ne suffit pas de transmettre ces biens, il faut aussi transmettre la manière de s’en servir.

à l’état institutionnalisé, il correspond aux diplômes dispensés par l’institution scolaire.

Malgré certaines études qui montrent que les enfants, dès les premières années, des performances intellectuelles très différentes selon le niveau social de leur famille, il faut souligner que la part la plus importante et la plus agissante de l’héritage culturel se transmet de façon osmotique, ce qui contribue à renforcer les membres de la classe cultivée dans la conviction qu’ils ne doivent qu’à leurs dons ces aptitudes, ces compétences, ces savoirs, qui ne leur apparaissent pas comme le résultat d’un apprentissage. Les enfants des classes dominantes vont ainsi intérioriser un capital culturel, un ethos (système de valeur intériorisé par l’individu en fonction de son milieu social) de classe proche de ce qui est dispensé par le système éducatif, ce qui va faciliter leur réussite.

"La reproduction des inégalités sociales par l'école vient de la mise en œuvre d'un égalitarisme formel, à savoir que l'école traite comme "égaux en droits" des individus "inégaux en fait" c'est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique."
Pierre Bourdieu - 1930-2002 - La reproduction – 1966









2) Le milieu social influe sur le niveau de l’éducation (reproduction sociale)


On appelle reproduction social le maintien de la position sociale d’une génération à l’autre par la transmission d’un patrimoine qu’il soit matériel ou immatériel.


Bourdieu (« Les héritiers ») décrit ce phénomène. Ainsi, certains héritent des bonnes positions sociales (d’où les héritiers) en opposition aux autres qui sont les déshérités. Bourdieu met donc en avant l’inégalité de dotation de capital économique, social et culturel.
Cependant, l’héritage culturel ne suffit pas à expliquer la reproduction sociale.

Bourdieu

R.Boudon, sociologue français, a une approche différente. Il s’attarde sur la mobilité sociale.
Celle-ci désigne le changement de position sociale d’un individu par rapport à celle de ses parents (mobilité sociale inter générationnelle) ou au cours de sa vie (intra générationnelle). Ce concept sociologique analyse la circulation des individus entre les différentes positions de l’échelle sociale. La mobilité sociale peut être ascendante (ouvrier vers cadre), descendante (cadre vers ouvrier) ou horizontale (ouvrier vers employé).
Ainsi, pour Boudon, c’est la peur de connaître un immobilisme social descendant qui va contraindre l’enfant de cadres à poursuivre ses études pour arriver au même niveau professionnel de ses parents.
Boudon met donc en avant les choix individuels et le calcul coût-avantages auquel procèdent l’individu et sa famille. 

Portrait de Raymond Boudon
Raymond Boudon

Les théories de Bourdieu et Boudon sont différentes .Elles peuvent cependant se compléter. 

C.Peugny, sociologue français, étudie également la reproduction sociale en France. En 2013, il publie un ouvrage « Le destin au berceau : inégalités et reproduction sociale ».
Dans cet ouvrage, il montre, dans un premier temps, que la mobilité sociale, qui s’était accrue dans les années 1960 et 1970 a commencé, dans les années 1980, à se ralentir pour, depuis une dizaine d’années, connaître une régression. Il parle de phénomène de « moyennisation » de la société française .

La reproduction sociale est désormais forte : aujourd’hui, 7 enfants de cadre sur 10 occupent un emploi d’encadrement et 7 enfants d’ouvrier sur 10 occupent un emploi d’exécution. Cependant, en dépit de cette évolution, le sentiment d’appartenance aux « classes moyennes » continue à être exprimé par 60% des Français. Il met en cause l’école dans cette forte reproduction sociale. Il estime que la « démocratisation-massification » scolaire a plutôt profité aux jeunes des milieux intermédiaires, tandis qu’aux deux extrémités de l’échelle sociale, le milieu social d’origine reste fortement prédictif des chances de réussite scolaire et influence aussi la rentabilité que les jeunes peuvent tirer de leurs diplômes.

Il propose ensuite des pistes pour « faire en sorte que rien ne soit définitivement joué », donc pour « desserrer l’étau de la reproduction sociale » : il faudrait repenser le système éducatif et le système de formation professionnel.

Camille Peugny

L’école de la réussite pour tous doit être possible. C’est en ce sens qu’il faut œuvrer.

II) Les inégalités à l'école : les comprendre et les réduire.


La société française vit donc une reproduction sociale massive où la mobilité sociale est presque inexistante dû aux origines sociales.

1) Comprendre ces inégalités


- Ressources inégales : les familles ne disposent pas toutes des mêmes ressources (matérielles, économiques et sociales).
- Pas assez de mixité sociale : la France est le pays développé où les déterminismes sociaux sont les plus forts. En particulier, les élèves de l’éducation prioritaire obtiennent, globalement, de moins bons résultats que les autres, et cette inégalité s’est aggravée au cours des dernières années.
- Différences de motivation : les familles, dans leurs choix d'orientation, élaborent un calcul « coût-avantage-risque » des différentes options possibles en fonction de leurs ressources.
- Inégalités face aux devoirs: certains enfants peuvent être aidés par leurs parents dans leur travail à la maison, d’autres pas.

2) Combattre les inégalités.


La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École définit un objectif essentiel : ramener à moins de 10% les écarts de réussite scolaire entre les élèves de l’éducation prioritaire et les autres élèves de France. Pour cela de nouvelles mesures ont été mises en place.

Les internats d'excellence, une solution.

Les internats d'excellence, qui permettent à certains élèves de milieux défavorisés, ne disposant pas de bonnes conditions pour travailler chez eux, d'accéder à des conditions d'apprentissage plus favorables.


Réduire les inégalités face aux devoirs.


La cause : certains enfants peuvent être aidés par leurs parents dans leur travail à la maison, d’autres pas.

Faire des séances de devoirs sous surveillance scolaire quelques heures par semaine et de les supprimer à la maison. 


Gommer les inégalités par le soutien scolaire

"Ecole : la mixité sociale en panne "

- Renforcer la mixité scolaire et sociale en rendant cette carte plus contraignante ou envoyer davantage d’enfants défavorisés dans les beaux quartiers . Il serait aussi nécessaire «de rendre les établissements situés dans des quartiers sensibles plus attractifs, en y proposant des options rares (du japonais par exemple ou encore du cinéma) et en y affectant des enseignants plus expérimentés. Ces derniers pourraient y être mieux payés ou avoir moins d’heures d’enseignement à effectuer.


Etude de cas:


Le Conseil nationale de l'évaluation du système scolaire (Cnesco)  a rendu ce jeudi un rapport sur la mixité sociale à l'école les auteurs y pointent une ségrégation sociale « importante » en France.

Manifestation des parents d'élevés à Montpellier 
Au même moment, des mères de famille d’un quartier défavorisé de Montpellier viennent d’obtenir le gel du redécoupage de la carte scolaire qui prévoyait d’envoyer vers un « collège – ghetto » tous les élèves de CM2 du quartier. Alors que certains enfants avaient jusqu’ici la « chance » d’intégrer un collège avec de la mixité sociale.


Des solutions au sein de l'établissement scolaire.

- « Plus de maîtres que de classes » : ce dispositif repose sur l'affectation dans une école d'un maître supplémentaire ce qui permettra d’organiser des séances de lecture en petits groupes ou qu’un enseignant soit chargé d’encadrer spécifiquement les élèves en difficultés (lors d’un exercice de maths par exemple), et ainsi les aider à effectuer leurs apprentissages fondamentaux.

- Mieux associer les parents à la vie de l’école en les accueillant chaques matins pour mieux les associer à la vie de l’école. De plus, plusieurs dispositifs leur permettant de suivre les apprentissages de leurs enfants seront développés.

- Un fonds académique pour financer des actions pédagogiques et l’animation des réseaux : les équipes pédagogiques locales bénéficieront de moyens leur permettant d’engager des actions innovantes au service des élèves.

 - Des incitations fortes pour stabiliser les équipes :
• Une rémunération plus attractive grâce à des indemnités revalorisées significativement
• Un parcours en éducation prioritaire qui sera valorisé dans la carrière

 - La scolarisation des enfants de moins de 3 ans réactivée : la scolarisation précoce est favorable aux enfants issus des milieux défavorisés, qui en tirent des bénéfices en termes de socialisation et de maîtrise du langage. Ainsi l’éducation nationale assure que la scolarisation des enfants de moins de 3 ans sera progressivement assurée dans l’ensemble des réseaux de l’éducation prioritaire.


Etre enseignant dans l'éducation prioritaire en 2015

- Un grand plan de formation continue et d’accompagnement pour l’éducation prioritaire :
 • Trois jours de formation annuels garantis dans les réseaux les plus difficiles
 • Des experts de terrain pour accompagner les équipes
 • Un tutorat pour les nouveaux enseignants




samedi 2 janvier 2016

La famille transmet un capital culturel


La position sociale d’un individu dépend en grande partie de son niveau de diplôme : plus celui-ci sera élevé, plus il occupera une place élevée dans la hiérarchie sociale. Or, les plus diplômés ont souvent des parents possédant eux-mêmes un niveau de diplôme élevé. Les enfants de diplômés disposent d’un savoir et d’un savoir-faire qui facilite la réussite scolaire.




Même si le système scolaire s’est massifié, l’école reste un facteur essentiel de la reproduction sociale.

vendredi 1 janvier 2016

Conclusion

"Hélas! combien de temps faudra-t-il vous redire
A vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'et vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont vote épouvante et vous êtes leur crainte."

C'est part ces vers de Victor Hugo que nous pouvons qualifier les inégalités scolaires qui règnent de nos jours. Ce poète qui fut une grand visionnaire, il avait vu juste!

L'état ne fait pas assez attention à ces inégalités, malgré les différentes réformes misent en place comme celle de la carte de l'éducation prioritaire et celle de l'allocation des moyens pour toutes les écoles et tous les collèges de France.

La famille freine la mobilité sociale car elle transmet plusieurs types de capitaux aux enfants : capital culturel, économique et social. Elle peut également adopter des stratégies rationnelles susceptibles d’empêcher la réussite scolaire.

Nous terminerons enfin par cette courte bande dessinée qui présente deux enfants de familles de rangs sociales complètement opposés, elle présente leur réussite scolaire et donc leur réussite professionnelle.












Ouverture : La réforme des collèges, une regression de l'enseignement et un accélérateur des inégalités.

Pour réduire ces inégalités, l'Education nationale programme une nouvelle réforme pour la rentrée 2016. Elle consiste à supprimer les classes bilingues et européennes accusées de favoriser l'élitisme, ainsi que le grec et le latin jugés trop mandarinales. Elle laisse également plus d'autonomie aux collèges qui disposeront de 4h par semaine pour décider de l'emploi du temps afin d'augmenter les heures de travaux en groupe et d'accompagnements personnalisés.

La réforme des collèges en bref.

Cependant nous sommes en droit de nous poser la question suivante : laisser libre choix aux collèges et au rectorat n'augmenterait-il pas les inégalités?
En effet à Paris 100% des classes bilingues pourront être maintenues contre 10 fois moins en province, voir seulement 5% pour Caen.

Des questions se posent donc : pourquoi la capital devrait-elle être plus favorisée? Pourquoi n'avons nous pas tous le droit d'avoir cette possibilité d'accès aux classes bilingues ou européennes ?



 

 
 

Victor Hugo disait : "l'éducation, c'est la famille qui la donne; l'instruction, c'est l'état qui la doit".