mardi 5 janvier 2016

1) Des inégalités dès le premier contact avec l’école


  • Au CP, parmi les enfants d’ouvriers non qualifiés ,15% figurent parmi les 10% les plus faibles aux évaluations et 5,7% parmi le dixième le plus fort, selon des données de 2011 du ministère de l’Éducation. Les chiffres sont respectivement de 2,9% et 19% pour les enfants de cadres supérieurs.
  • Au CE2, 10% des enfants d’ouvriers non qualifiés ont déjà redoublé au moins 1 fois, contre 1,3% de ceux d’enseignants, toujours selon le ministère de l’Éducation (enfants entrés en sixième en 2011). 
Extrait de l’Observatoire des Inégalités 19 novembre 2015

L’environnement d’apprentissage est déterminant. En effet, la valorisation accordée à l’école varie selon les milieux sociaux. Elle est plus positive vers le haut que vers le bas de l’échelle sociale. Au début de la scolarité, la réussite scolaire tend à être en moyenne d’autant plus faible que le niveau de la famille est modeste.

Certains mettent en avant le niveau de langage utilisé en famille.

Ce facteur langage peut, en effet, avoir une influence sur la façon dont les enfants abordent les exercices qui leurs sont proposés à l’école.

Dès le début des années 60, B. Bernstein, sociologue anglais, a établi une relation entre milieu social, mode de socialisation et compétence linguistique. Il apparait que la simplicité des relations verbales dans les familles ouvrières favoriserait la pratique d’un code linguistique restreint, plus adapté pour exprimer le contenu d’expériences vécues que pour exposer des idées abstraites. En revanche, la plus grande complexité des communications dans les classes supérieures favoriserait le maniement d’un code linguistique élaboré, plus susceptibles de développer la capacité d’abstraction.

Les psychologues montrent que dès l’âge de six mois, on peut mettre en évidence des corrélations entre le développement et la qualité du milieu de l’enfant. De même, chez les enfants de 5 ans, la prise en compte de facettes variées du milieu familial de l’enfant telles que leurs valeurs, leur représentation de l’école, leur style éducatif, explique environ 70 % du développement cognitif langagier.

Ainsi, l’école contribue à reproduire les inégalités sociales parce qu’elle attend des enfants qu’ils maîtrisent certains codes linguistiques (niveau de langage, vocabulaire, conjugaison..) qui sont surtout véhiculés au sein de la classe favorisée lors de la socialisation primaire. Les variations dans la maîtrise du langage expliqueraient donc, en partie, la réussite différente des enfants en fonction de leur milieu social d’origine.


D’autres soulignent le fait que « la culture » est davantage valorisée dans les milieux élevés et que ce facteur a une influence décisive sur le succès scolaire.

La culture scolaire n’est pas neutre ; elle valorise la culture des enfants les plus favorisés, proche de celle qu’elle dispense.

Agrégé de philosophie, P. Bourdieu avance que les motivations, attitudes… de l’individu sont déterminées par la place qu’il occupe dans le système des positions sociales.

Pour Bourdieu, le capital culturel fait partie du triple capital que possède chaque individu et qui est fortement corrélé au milieu social au sein duquel il évolue. Le triple capital ainsi transmis est composé du capital économique (l’ensemble des ressources matérielles tel les revenus, le patrimoine), du capital social (les ressources sociales dont l’individu dispose tel le réseau de relations, le « piston ») et du capital culturel. Ce dernier revêt en fait plusieurs dimensions et est composé :

à l’état incorporé, il correspond aux « dispositions durables de l’organisme » tels la qualité des raisonnements, les manières, le langage.

à l’état objectivé, il correspond aux tableaux, livres, dictionnaires.. mais il ne suffit pas de transmettre ces biens, il faut aussi transmettre la manière de s’en servir.

à l’état institutionnalisé, il correspond aux diplômes dispensés par l’institution scolaire.

Malgré certaines études qui montrent que les enfants, dès les premières années, des performances intellectuelles très différentes selon le niveau social de leur famille, il faut souligner que la part la plus importante et la plus agissante de l’héritage culturel se transmet de façon osmotique, ce qui contribue à renforcer les membres de la classe cultivée dans la conviction qu’ils ne doivent qu’à leurs dons ces aptitudes, ces compétences, ces savoirs, qui ne leur apparaissent pas comme le résultat d’un apprentissage. Les enfants des classes dominantes vont ainsi intérioriser un capital culturel, un ethos (système de valeur intériorisé par l’individu en fonction de son milieu social) de classe proche de ce qui est dispensé par le système éducatif, ce qui va faciliter leur réussite.

"La reproduction des inégalités sociales par l'école vient de la mise en œuvre d'un égalitarisme formel, à savoir que l'école traite comme "égaux en droits" des individus "inégaux en fait" c'est-à-dire inégalement préparés par leur culture familiale à assimiler un message pédagogique."
Pierre Bourdieu - 1930-2002 - La reproduction – 1966









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